Légende...

... de l'image postée ici il y a trois mois.

Fermé le livre, et faute d'article concernant Julien Sarrazin, on relit dans Wikipédia la biographie d'Albertine. Celui qui la recueille évadée de prison y est qualifié de « petit malfrat », de la même façon qu'elle sera, elle, appelée « prostituée » dans d'autres résumés. Raccourcis : accessoirement humains, anecdotiquement écrivains.
Auteur ici, Julien Sarrazin a au moins deux mérites. Tout d'abord, s'il explique de quelle façon son chemin s'est très tôt écarté du macadam des « gens honnêtes » (on pense à Brassens), ce n'est pas dans le but de se justifier, de se faire des années après l'avocat de sa propre cause. Ensuite, il ne s'agit pas non plus pour lui, et encore moins, d'accrocher une remorque littéraire à la notoriété temporaire de celle qui l'a un jour et malgré elle définitivement quitté.
Il parvient simplement (et la simplicité qui m'échappe si souvent ne peut provenir que d'un vrai travail ou d'une tournure profonde) à nous conduire dans ses propres traces, sans jamais y mêler quoique ce soit de l'aventure à deux dont la contrescarpe d'une forteresse pénitentiaire a marqué le début – sauf à en rappeler en fin la conclusion tragique.
De son enfance, il tient à nous faire comprendre, sans le formuler expressément, qu'elle n'a pas été marquée par un manque d'amour, mais que cet amour même prenait ou côtoyait parfois des formes violentes, tandis que manque et carences tenaient crûment au niveau matériel. Il nous montre aussi comment la guerre finissante a pu être dans son cas propice à brouiller les frontières légales. Certes non exempt à l'occasion de la violence basique héritée, son parcours de délinquant tient beaucoup plus des aventures des Pieds Nickelés que du crime de haute volée et il a très probablement plus payé que volé : il serait intéressant d'étudier son bilan délits et peines à la lumière des jurisprudences actuelles.
Qui plus est, si le quotidien décrit ou reflété ne coïncide en rien avec ce que voudrait dire l'expression « trente glorieuses » appliquée à cette époque, il se rapproche bel et bien de ce qui a pu nous marquer aussi. Du formica et des téléviseurs, des autos rutilantes et de l'eau chaude pour tous que tout le monde n'avait pas. Époque où le soleil n'apparaissait à d'aucuns qu'aux failles des enfermements, où la simple fugue d'un(e) mineur(e) suffisait à l'y conduire, quand ce n'était pas pour d'autres le cadre admis des formations sérieuses. Seuls des écrivains semblent avoir ainsi rendu ou du moins pris en compte quelque chose de la froideur et de la rudesse de ces années d'alors*, où auraient fait tache les laissés pour compte et les tombés du train.
Lire et écrire en ont fait surnager certains. Julien et son frère enfants vont malgré tout à l'école, y sont bons élèves, et la famille ne va pas contre. Albertine en maison de redressement obtient la mention bien à la première partie du baccalauréat. Incarcérée, elle le termine en prison. Emprisonné ailleurs, Julien travaille à l'imprimerie dont est doté son établissement pénitencier. Qu'il en profite pour démarrer à cet endroit le tunnel d'une évasion ratée est à la fois logique et symbolique.
Leur rencontre n'aura été que le début d'une corde dont éloignements et rapprochements ont tressé les fils et leurs livres comme la lumière d'une mèche trop brièvement incandescente. Tout buté qu'il était, la nuit et la fureur absurde auront raison de ce couple historiquement tragique et le silence une fois retombé, c'est de Victor Hugo que ces assassinés-nés recevront ici les derniers honneurs, à jamais médaillés misérables.

* Entre autres, et chacun à leur façon, Annie Ernaux, Patrick Modiano, Georges Pérec sapent bien  la vision économique consacrée.