Il était naturel

Il était naturel que, nourrie dès le berceau de l'enseignement vantant l'humilité et la soumission de celui qui fut sans conteste le plus grand masochiste de tous les temps - à savoir le Christ -, la fameuse (ou fumeuse, à votre choix) société judéo-chrétienne en arrive très vite à prôner une culture basée sur les principes mêmes de ce qu'elle dénoncera plus tard comme une perversion. Relisez votre catéchisme préféré! Des phrases comme "Beaucoup d'entre les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers" et " Celui qui s'humilie sera exalté" ou encore "Heureux les humbles car ils hériteront du monde" indiquent on ne peut plus clairement la tendance à faire de la gêne et de la souffrance des éléments de plaisir, de l'humilité et de la honte des instruments de désir. La vie même et la mort du Christ sont la glorification de la souffrance. Tous les saints et les ascètes se châtiaient sévèrement et sans répit : saint Benoît et saint François d'Assise se roulaient dans les buissons d'épine, de préférence en plein hiver et sous la neige; saint Macaire s'asseyait nu sur une fourmilière; saint Antoine passait le plus clair de son temps à se flageller; son disciple, saint Hilarion, se chargeait le col d'une lourde chaîne en fer, qui l'obligeait à se tenir à quatre pattes. Côté dames : sainte Marie-Madeleine de Pazzi, non seulement adorait se faire fustiger par la supérieure du couvent, mais elle se nourrissait d'excréments; quant à sainte Thérèse d'Avila, après s'être copieusement auto-flagellée et avoir écrasé ses seins sous une claie d'osier, elle se couchait sur un lit de fagots. Que ces tortures soient infligées pour pour la "bonne cause" - résister à la tentation du péché - ne change rien à l'affaire. Tous les documents nous apprennent que de ces supplices mêmes surgissaient de nouvelles tentations : "l'esprit impur" revenait par ce détour, le détour de la satisfaction masochiste. Qui a inventé le jeûne et les pénitences? Qui a dit qu'il fallait tendre la joue droite quand on était frappé sur la gauche? "Dès qu'il y a un coup à recevoir, le masochiste tend la joue" (Freud). Kraft-Ebing aurait pu s'éviter la peine d'inventer un mot nouveau. Il en avait un tout prêt, et qui avait fait ses preuves : christianisme.

Jean Streff : LE MASOCHISME AU CINÉMA,
Éditions Henri Veyrier, 1978, page 13

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