Statu quo

Tu balances des images pour combler le silence et tu écris pour masquer le vide. Tu ne te trompes même pas toi-même, tu sais trop les choses : tu es passé du noir de la case prison au brouillard blanc des derniers jours. Et c’est à peine si des confettis et des petites babioles d’enfant tombent encore de tes cheveux quand tu secoues la tête. Pendant des siècles, les histoires en couleurs avaient bercé ton inertie muette et solitaire et les cauchemars progressivement renouvelés ajoutaient ce qu’il fallait de nuit, de soufre et d’horreur pour en relever les scènes naïves. Tel l’écureuil dans sa roue fermée ouverte, tu n’arrivais à rien d’autre qu’à entretenir bon gré mal gré le mouvement du coucou, si tant fût que tu eus pu l’arrêter. Longtemps trompé tu en étais même venu à te croire l’auteur des compositions burlesques qui investissaient ton imagination. Longtemps aveugle derrière le froid des vitres, derrière le froid des rêves glacés, ta peau tombait en inanition.
Tu attendais comme un bagage ou comme une boîte à outils, comme une initiation ou comme un adoubement. Il y avait eu au commencement de tout comme une sorte de lacune, pour ne pas dire un hic, qu’il aurait fallu préalablement amender, sans quoi aucun départ, aucun baiser, aucune caresse, ni danse ni vol ni plongeon ni chant. Les terres et les ciels, les eaux et les jardins, tout tournait à la périphérie des jours, tout restait comme distant, comme arrêté de l’autre côté du monde, toi couché immobile sous les sibyllins/implacables/ésotériques arrangements d’étoiles, toi ligoté vue et ouïe le volume à fond, toi barré bouche cousue, toi héritier handicapé d’on ne sait pas quel antécédent, quelle erreur originelle, toi attendant au-dehors de toi.
Ton heure n’est jamais venue.
Tu te dis maintenant que ta foi t’avait obnubilé et voudrais te reprendre, mais tu ne sais pas te débarrasser de l’impression typographique qui t’a oblitéré. Tu as beau décréter un nouveau régime, tous les gestes qui te viennent sont marqués à l’ancienne, et qui plus est, désormais sans cet élan, même idolâtre, qui faisait leur lustre. Rien ne le remplace.
Ton histoire fétichisée n’est qu’un bout de ficelle et les clichés que tu y pends sont d’un triste à mourir. Tu t’y résous forcé, acculé par la peur, réduit à t’excuser de ton impolitesse. D’où sans doute, venue il n’y a pas longtemps, cette idée saugrenue d’ajouter des pièces de pure fiction aux chroniques misérables : des volets rapportés, des prothèses de style, de la musique de fond, des décorations tendancieuses. Fiction vite dit : tu te vois déjà les piquer ailleurs. Couper coller, scalpel suture. Cependant, plutôt qu’une graine vite en manque de ressources vitales, tu n’y vois encore qu’un germe ou un microbe, qu’un lierre ou un gui proliférant à l’aise sur tes restes décrépits. Projet suspendu. Arbre mort et maison en ruine, le présent se résume désormais à une liquidation précipitée, à des restes de réflexes, à des coups qui s’espacent : ton absence a pratiquement gagné. Si tu espères encore peu ou prou, comme qui dirait dans les vertus intrinsèques d’un radotage alchimique, dans le maintien artificiel d’une voix bien au-delà du message, que quelque chose d’autre que ce que tu y dis s’y fait malgré toi entendre, l’intérimaire s’en fiche.

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